La kétamine révolutionne la prise en charge de la dépression sévère

 In Anxiété et Dépression, Blogue
« La résistance au traitement de la dépression est un problème majeur, plus de la moitié des patients ne répondant pas adéquatement au traitement antidépresseur standard et approprié », souligne Maurizio Fava, directeur du Département de psychiatrie du Massachusetts General Hospital (Université Harvard).

Les antidépresseurs classiques agissent en augmentant la concentration de certains neurotransmetteurs dans le cerveau (sérotonine, noradrénaline et dopamine), ce qui stimule la production de nouvelles connexions entre les neurones. La kétamine, quant à elle, augmente la libération de glutamate, un acide aminé dont l’équilibre avec d’autres neurotransmetteurs est nécessaire au bon fonctionnement du cerveau. Grâce à cela, la production de connexions neuronales est aussi stimulée.

La kétamine est un antagoniste des récepteurs N-méthyl-D-aspartate (NMDA). Elle est employée depuis les années 1960 comme anesthésisque chez les enfants et les adultes. Il existe donc un grand recul par rapport à sa sécurité d’utilisation. Il s’agit d’une substance qui s’administre en perfusion intraveineuse (les voies orale, sublinguale et intramusculaire sont en cours d’étude) et intranasal.

Récemment, l’eskétamine, dérivée de la kétamine, a été approuvée pour une administration en spray nasal et commercialisée sous le nom de Spravato®.

Dans le cadre d’une nouvelle étude novatrice publiée en 2019, le Dr Pierre Blier, directeur de l’Unité de recherche sur les troubles de l’humeur à l’IRSM du Royal, et la Dre Phillips ont pu démontrer que la kétamine est non seulement efficace pour traiter rapidement les personnes atteintes de dépression grave ou d’idées suicidaires, mais qu’elle peut également avoir des effets significatifs et prolongés.

« Nous savons que lorsque la kétamine agit, elle agit plus rapidement, produit moins d’effets secondaires et coûte beaucoup moins chère que la thérapie électroconvulsive, qui est actuellement le traitement privilégié pour les personnes atteintes d’une dépression réfractaire aux traitements », explique le Dr Blier.

À propos du programme d’essais cliniques sur SPRAVATO®

L’efficacité et l’innocuité du vaporisateur nasal SPRAVATO® ont été évaluées chez plus de 1 700 patients adultes (de 18 à 86 ans) dont le trouble dépressif majeur correspondait aux critères du DSM-5 et qui n’avaient pas répondu à au moins deux traitements par un antidépresseur oral différent administré à une dose et pendant une durée adéquates durant l’épisode dépressif majeur en cours. Le programme de développement comprenait cinq études de phase III (trois études à court terme et deux études à long terme) et une étude de phase II de détermination de la dose.10 Dans le programme de phase III, les effets indésirables les plus fréquemment observés chez les patients traités par SPRAVATO® en association avec un antidépresseur oral étaient les suivants : dissociation (y compris un certain degré de détachement avec la réalité), étourdissements, nausées, sédation, céphalée, vertige, dysgueusie, hypoesthésie, augmentation de la tension artérielle, anxiété et vomissements.

Les mécanismes précis de l’action antidépressive sont en cours d’élucidation, l’antagonisme NMDA n’expliquant probablement pas l’effet observé. La kétamine semble aussi augmenter les taux de dopamine, de noradrénaline et de sérotonine dans le cerveau. Elle est associée à diverses voies biochimiques impliquées dans la plasticité synaptique. Elle induit des changements rapides dans la machinerie présynaptique de l’hippocampe similaires à ceux observés avec un traitement antidépresseur traditionnel chronique.

L’action antidépressive est beaucoup plus rapide que celle observée avec les médicaments traditionnellement employés dans la dépression qui peuvent prendre plusieurs semaines alors que les effets de la kétamine apparaissent en quelques heures.

La dopamine fait partie du système de récompense du cerveau et aide les gens à ressentir des sentiments positifs sur la vie

Les perfusions de kétamine sont indiquées chez des patients avec un épisode dépressif sévère (unipolaire ou bipolaire) sans symptômes psychotiques.

D’autres indications comprennent les troubles anxieux résistants comme l’anxiété généralisée, mais aussi les troubles obsessionnels compulsifs (TOC) et l’état de stress post-traumatique (ESPT).

La kétamine a de plus une puissante action anti-suicidaire, même après une seule dose.

«Dès 40 mi­nutes après l’injection, la diminution du risque suicidaire est très significative»

Le Dr de Maricourt

Elle est contre-indiquée en cas de schizophrénie, de psychose ou d’épilepsie.

Ce traitement ne doit toutefois pas être considéré comme un moyen de « guérison » de la dépression, mais comme un adjuvant permettant à d’autres traitements, biologiques ou psychologiques, de fonctionner.

La kétamine intraveineuse est également indiquée et particulièrement efficace dans certaines formes de douleurs chroniques.

C’est par hasard que les effets antidépresseurs de cette molécule mise au point dans les années 1960 ont été découverts il y a bientôt vingt ans. Une véritable révolution dans le monde de la psychiatrie, qui n’avait pas connu d’innovation thérapeutique dans la prise en charge de la maladie depuis près de cinquante ans.

La kétamine, utilisée comme anesthésique général, s’est avérée efficace dans plusieurs études pour soulager rapidement les symptômes de dépression lorsqu’elle est administrée à de faibles doses sous-anesthésiques. La plupart de ces études ont utilisé une dose intraveineuse de 0,5 mg/kg.

Comment se déroulent les perfusions de kétamine ?

Dans tous les cas, une évaluation médicale préalable par un psychiatre et un médecin anesthésiste permettra de déterminer si le traitement peut avoir lieu ou non. Les patients atteints de problèmes cardiovasculaires ou respiratoires sévères pourront nécessiter des examens complémentaires ou des adaptations de traitement avant la première perfusion. La sécurité étant la priorité au Centre de Psychiatrie Interventionnelle, en cas de doute de la part de l’équipe médicale ou d’un risque de complication déraisonnable, le patient pourra être récusé.

Le traitement est réalisé dans les locaux du Centre de Psychiatrie Interventionnelle par une équipe d’anesthésistes chevronnés. Un infirmier anesthésiste ou un médecin anesthésiste est présent tout au long de la procédure, un médecin psychiatre ou un infirmier en psychiatrie étant également disponible en permanence. Le patient est installé dans une salle confortable à la lumière tamisée, avec la possibilité d’écouter une musique douce de son choix. Pendant la durée de la perfusion, il est important de limiter au maximum les stimulations.

Une fois la perfusion posée, un moniteur surveille en permanence des paramètres vitaux tels que la pression artérielle, la saturation en oxygène et l’électrocardiogramme. La kétamine intraveineuse est un traitement sur mesure, la dose est personnalisée pour chaque patient, mais aussi d’une séance à l’autre si nécessaire. Chaque perfusion dure environ 45 minutes et une surveillance de 30 minutes au minimum aura lieu par la suite.

La plupart des patients ressentent la perfusion comme une expérience « étonnante », certains y trouveront un grand bien-être, d’autres la vivront comme plus déstabilisante. Cet état ne dure pas plus de quelques minutes après la perfusion. Dans tous les cas un professionnel est présent en permanence et peut intervenir si nécessaire.

Comment se passe la prise d’eskétamine intranasale Spravato® ?

Les traitements ont exclusivement lieu dans les locaux du Centre de Psychiatrie Interventionnelle sous surveillance médicale, où le médicament sera délivré. Le spray ne peut pas être emporté à domicile.

L’eskétamine intranasale Spravato®, est administrée 2 x par semaine pendant 1 mois (phase d’induction) puis 1 x par semaine à 2 x par mois pour éviter les rechutes (phase d’entretien). La dose standard est de 56 à 84 mg (2 ou 3 flacons) par séance, administrée en 2 à 3 prises de 28 mg séparées de 5 minutes.

La pression artérielle sera mesurée pour vérifier la compatibilité avec la prise du traitement. Le patient s’administre lui-même le spray nasal en présence d’un médecin, avec une surveillance obligatoire de deux heures au minimum sur place, dans des locaux calmes et confortables.

Pendant la période qui suit le traitement, il est conseillé de prendre avec soi un masque de sommeil, des écouteurs et de prévoir une musique relaxante.

Ce traitement révolutionnaire est disponible dans certains Hôpitaux du Québec.